Lire la troisième partie de cet article : Union Française des Consommateurs ?! Musulmans ?! (3/4)
Limites corporelles
Dans cette société de l’illusion où le paraître devance l’être, les abus sont devenus coutumiers. Entre les élites qui construisent des voitures en or et les populations qui se gavent de burger chez Mac Do, qui est le plus à plaindre ? Cette course illusoire à la liberté se construit sur l’excès et produit donc de l’excès. Mais tout comme le monde rappelle les limites, le corps rappelle également qu’il y a des seuils infranchissables. La maladie, la vieillesse ou simplement la mort sont des rappels qui proviennent de Celui qui n’a pas de limite :
« C’est Lui qui vous a créés d’une terre, puis d’une goutte sperme, puis d’une adhérence puis Il vous fait sortir petit enfant pour qu’ensuite vous atteigniez votre maturité et qu’ensuite vous deveniez vieux – certains parmi vous meurent plus tôt –, et pour que vous atteigniez un terme fixé, afin que vous raisonniez. »[Coran 40/67]
Le développement des produits de beauté, des salles de sports ou de la chirurgie esthétique sont les symboles de cette lutte contre les limites du corps. D’aucuns affirmeront que l’islam n’interdit en rien la beauté ou l’entretien de son corps. Certes, mais ce qui se faisait naturellement à travers l’activité quotidienne est devenu encore une fois un marché qui exploite les consommateurs moyens vers l’illusion du paraître. On ne vit plus de manière équilibrée et ensuite on tente de réparer nos déséquilibres en s’inscrivant dans des salles de sport ou en se passant des produits de beauté. À l’image de l’agriculture massive qui crée des déséquilibres qu’il faut réparer avec des produits chimiques, l’être humain est entré dans cette même logique avec son corps. Si les solutions d’agriculture équilibrée comme la permaculture existent, ce n’est pas leur rentabilité qui empêche leur déploiement. Elles ne sont rentables qu’à petite échelle, dans des logiques de proximité qui entretiennent des liens d’interdépendance. Or l’agriculture massive repose sur la logique du profit pour une minorité. De la même manière, si le corps peut être préservé naturellement avec un fonctionnement plus sain, le système entretient les dérives qui provoquent tous les maux comme le cancer. Cela permet aux industries pharmaceutiques de nous vendre des solutions médicales qui créent de nouvelles maladies, qu’il faut à nouveau traiter, etc.
Dans cette course à la liberté, les marchands de bonheur ont trouvé une source de profits incommensurable. Les humains sont devenus des consommateurs d’illusion de vie éternelle à travers les produits de régime ou la chirurgie esthétique qui nous fait oublier que le corps est un signe, qu’il nous parle, qu’il nous relie à Dieu :
« Nous leur ferons voir Nos signes dans les horizons et en eux-mêmes, jusqu’à ce que cela leur devienne évident que ceci est la vérité. » [Coran 41/53]
À force de faire croire aux humains qu’une « victoire contre la mort » est possible, Shaytan tente surtout d’entretenir l’illusion avant que l’Homme prenne conscience de la prépondérance de l’invisible. Ce marché de l’anti-mort nous donne l’illusion d’une liberté qui n’est pourtant qu’une nouvelle dépendance au paraître. Le corps nous dévoile ces signes afin que nous revenions à l’essentiel et nous les masquons à travers la consommation. Quel sens aurait cette vie s’il n’y avait pas un but défini par une toute-puissance créatrice : Dieu ?
Conclusion
Le système en entretenant l’idée d’une liberté épanouie reposant sur le franchissement des limites nous illusionne sur le bonheur. Cela soulève la question des véritables pouvoirs que possède l’être humain. Les pouvoirs peuvent se décomposer en trois niveaux : celui de l’intention, celui de la réalisation et celui de la volonté.
L’intention est certes une capacité humaine mais elle relie l’homme exclusivement à Dieu. Elle engendre une responsabilité morale dont seul Dieu est juge. A contrario la réalisation n’appartient qu’à Dieu. L’être humain peut planifier ce qu’il veut, ne se réalisera que ce que Dieu veut. C’est pourquoi la réalisation n’engendre qu’une responsabilité civile et non pénale. Un meurtre accidentel conduit au dédommagement de la famille de la victime mais pas à des sanctions pénales en islam. Le véritable pouvoir humain qui le responsabilise devant Dieu et devant les Hommes est celui de la volonté. La volonté dans le sens de l’effort de planification afin de réaliser ses intentions. Cette volonté implique des choix qui représentent la véritable liberté humaine. En réalité, il est illusoire de penser qu’il n’existe pas de limite. Elles existent à travers la création, la norme divine et les normes sociales. La liberté de l’humain, contrairement aux animaux, est de choisir ou non de les respecter. Toutes les normes ne sont d’ailleurs pas respectables. Le choix dépend de ce que la norme préserve, de son sens. Certaines nous relient à la préservation de la foi et donc de l’être. Elles proposent de préserver les liens humains, le rapport au temps, le respect de la création, etc. Elles méritent dans ce cas tous les efforts. Dans le cas contraire, elles doivent être redéfinies.
Il ne faut pas oublier que la norme par excellence est Dieu, que l’alliance première est conclue avec Dieu, que notre première responsabilité est devant Dieu. Lorsque nous parlons de tierce entité, du « Lui » qui régule, nous faisons référence à :
« Dis, Lui, Allah l’Unique. » [Coran 112/1]
La formule grammaticale correcte aurait été « Dis, Allah l’Unique ». Cependant, le Coran est sans faille et « Lui » signifie à la fois Son évidence et le fait qu’Il est la tierce entité qui définit la norme. Cette norme nous enseigne une voie qui s’oppose fondamentalement au libéralisme. Concernant le rapport à la consommation, nous constatons finalement que la norme divine nous enseigne au moins quatre axes préservateurs :
– Le premier est de prendre le temps. Dans une société qui va de plus en plus vite, parvenir à refuser le dictat de la course en avant est déjà une victoire. Prendre le temps d’échanger, de débattre, de se former, mais aussi de déjeuner en famille, de discuter avec son voisin, d’aller à la ferme acheter ses légumes. Ces gestes simples paraissent inopérants face au gigantisme du système mais c’est justement dans la proximité et en changeant d’échiquier que nous parviendrons à reprendre conscience. La clef est d’abord dans la conscience. L’agir est important mais secondaire et variable en fonction des situations. Le plus important est de ne plus rester aliénés, même si cela révèle en nous certaines incohérences qu’il faudra du temps pour changer. Nous avons le temps car la réalisation appartient à Dieu.
– Le second axe est de renouer avec la Création. Les cimetières sont encerclés, nos légumes sont en barquette, nos loisirs dans des salles, notre « travail » dans des immeubles, etc. Nous vivons cloisonnés et coupés de la nature. Le premier challenge est de renouer avec la nature, de la méditer, la respecter, ne pas en abuser. Elle est une manifestation de Dieu et si les gens ne peuvent aller à la campagne, il faut en parler, il faut ramener la campagne à la ville, par des mots, par des projets qui aident à prendre conscience. Sortir des grandes surfaces est d’ailleurs un des paris les plus grands et même si ce n’est pas possible pour tout, il suffit de commencer par s’imposer de n’acheter qu’un produit à la ferme, puis un second, etc., ou au moins de promouvoir les AMAP (sharî‘a compatible) et autres projets qui font de la préservation de l’agriculture de proximité une priorité.
– Le troisième axe est de recréer du lien social à un niveau personnel mais également associatif. Le vrai bonheur est dans la responsabilité sociale devant Dieu. Parvenir à s’ouvrir aux autres avec leurs différences devient vital. Les projets qui tentent de préserver les traditions locales méritent toute notre attention. Leurs histoires méritent de faire écho, même si nous ne partageons pas tout. Cela fait partie de l’histoire humaine et permet d’entretenir justement une remise en question qui n’est plus possible dans une société assimilationniste. Le partenariat est important en soi, pour ne pas cultiver l’isolement intrinsèque au système consumériste. La consommation individualiste ne mène qu’à une jouissance éphémère qu’il faut dépasser.
– Le quatrième axe est de faire en sorte de redevenir créatif. Nous ne sommes pas par essence des consommateurs. Nous sommes des êtres créatifs et entretenir cette idée chez nos enfants est l’un des plus grands combats. L’un des challenges serait de parvenir à couper avec les jeux vidéo et autres activités consuméristes pour tourner nos enfants vers des jeux créatifs où ils doivent prendre le temps, réfléchir, inventer, solutionner en lien avec d’autres enfants et de manière constructive. Le fait qu’un enfant s’ennuie est devenu une tare et c’est pourtant le point de départ de son imagination créative. Les adultes ont le même challenge en incarnant concrètement des projets alternatifs. À l’image des colibris, ils ne changeront probablement pas la face du monde, mais ils auront le mérite de montrer que vivre différemment est possible.
Ces axes ne sont que des pistes, et non des objectifs. L’objectif reste de fournir les efforts conscients afin de cheminer en Dieu, avec les Hommes, grâce au souvenir de la Création, dans le respect de la norme naturelle et divine.