Introduction : le jeûne, une adoration qui bouleverse notre quotidien
Chaque année, il est un mois qui vient bouleverser nos habitudes. Ce mois, le mois de ramadan, est pour qui sait le ressentir au fond de lui, un moment profond, un mois de spiritualité, un mois où Dieu nous demande de vivre autrement. Ainsi, durant vingt-neuf ou trente jours, nous devenons plus attentifs au mouvement de la création et à la gestion de notre temps, nous sommes davantage liés à l’observation des cycles, du temps qui s’écoule. Dieu demande alors au croyant de revoir son propre rythme et de se mettre en phase avec la création : observer la lune pour déterminer le début et la fin de son mois de jeûne et observer la course du soleil pour déterminer quand débuter et quand couper sa journée de privation.
Ainsi chaque croyant se met-il au diapason avec la création, il prend conscience qu’il n’est pas la seule créature à se soumettre à la puissance divine. À l’instar de millions d’autres croyants, il se place seul devant le Créateur des éléments pour se priver, brider ses besoins et élever son cœur à l’adoration de Dieu.
En ce sens, le jeûne est un acte individuel, c’est une adoration personnelle que seul Dieu est à même de juger. Dieu n’a-t-Il pas dit : « Tout acte appartient au Fils d’Adam, excepté le jeûne ; il M’appartient et c’est Moi qui en donnerai pleinement la récompense. » [Al-Bukhârî]
Raison pour laquelle les juristes disent que si une personne est convaincue d’avoir vu la lune, il lui revient de jeûner, même si les autres ne jeûnent pas, parce que c’est un acte vertical, une responsabilité individuelle face à l’observation de la création.
1. L’homme et le temps, d’abord des créations de Dieu
Dieu, dans Sa grande sagesse, a créé toute chose. Comme Il le dit à plusieurs reprises dans le Coran : « Quand Il veut une chose, il Lui suffit de dire “Sois” et la chose est. » (Coran 36/82 ; 40/68)
Le temps, l’espace et l’homme font partie de Sa création et en sont des éléments fondamentaux qui interagissent continuellement. Ainsi, l’homme dépend-il directement des facteurs temps et espace qui lui donnent ses limites dans sa condition de créature.
Et, bien que Dieu n’ait pas besoin de la mesure du temps, Il l’a imposée à l’homme, lui demandant d’en prendre conscience. Ainsi, dans le Coran, a-t-Il mesuré temporellement la création des cieux et de la terre : « Votre Maître est Dieu qui a créé les Cieux et la Terre en six jours et qui S’est ensuite établi sur Son Trône, pour régler la marche de l’Univers. […] » (Coran 10/3)
Cette volonté insistante de la mesure temporelle n’a pour but que de nous montrer le lien indissociable de notre existence avec celle du temps. L’existence de l’homme n’est que temps qui passe et négliger ce temps qui s’écoule, c’est renoncer à vivre pleinement son existence, et vivre ainsi dans l’insouciance de Dieu. De la même manière, gérer notre temps au rythme effréné de nos « besoins » matériels, c’est dénaturer la valeur du temps, c’est aussi s’éloigner de Dieu.
Durant le mois de ramadan, Dieu nous rappelle à l’ordre. Par le jeûne, Il nous appelle à faire une pause dans cette course incessante du temps et des rythmes effrénés qui nous poussent à l’oubli. Le jeûne vient rappeler, à travers la modification des rythmes et la réminiscence des cycles, que notre existence a un sens, et que le temps pour le réaliser est court.
Le mois de ramadan appelle donc à reconsidérer le temps, à lui donner toute son importance et sa mesure, afin que l’homme ne vive pas vainement dans l’oubli.
2. Le jeûne pour vivre dans la conscience de Dieu (taqwa)
La Révélation du Coran au dernier Prophète (PBSL) ne cesse d’appeler à un objectif que l’homme doit tenter d’atteindre durant son existence, qui n’est autre que la taqwa.
Quand Dieu établit l’obligation du jeûne dans le Coran (2/177-188), Il rappelle, avant et après l’énonciation de l’obligation, que le seul but de cette adoration est la taqwa.
Traduit trop rapidement par « piété », la taqwa résume plus largement l’idée d’une conscience profonde de la présence divine « qui renforce, qui protège, qui prémunit et nourrit ».
« […] Prenez des provisions de route, mais sachez que votre meilleure réserve sera la taqwa, la crainte révérencielle de votre Seigneur. Craignez-Moi, homme doués d’intelligence ! » (Coran 2/197)
La taqwa est donc le viatique qui permettra à l’homme de mener son voyage à son terme. Ainsi Dieu rappelle-t-Il à l’homme que ce mois n’a pour d’autre objectif que de vivre dans cette conscience intime de Dieu, la taqwa. Et là, Dieu ne S’adresse pas uniquement aux musulmans, car le jeûne est une prescription donnée à toute l’humanité :
« Ô croyants ! Le jeûne vous est prescrit comme il a été prescrit aux peuples qui vous ont précédés, afin que vous manifestiez votre piété. » (Coran 2/183)
C’est une pratique ancestrale qui a accompagné l’homme dès les débuts de son existence, bien avant même le Prophète Muhammad (PBSL). Cette prescription est donc liée à l’existence de l’homme qui, pour son bien-être doit jeûner s’il veut ressentir pleinement les conséquences physiques et spirituelles de cette privation.
Et, en s’imposant cette privation, l’homme prend ainsi conscience des limites dans sa manière de consommer, de gérer son temps ou ses biens.
3. Le jeûne pour apprendre à gérer ce que Dieu nous a octroyé
Chaque homme bénéficie d’une part de biens que Dieu lui a octroyés. C’est le rizq, la part que Dieu a réservée à chaque créature le temps de son existence sur terre. Mais le croyant doit apprendre à le gérer de la meilleure manière comme le Prophète (PBSL) nous l’a enseigné, avec responsabilité et sagesse, car s’il peut jouir de ce qui lui a été attribué, il ne peut cependant pas le gaspiller. Raison pour laquelle Dieu, dans le Coran, évoque en des termes sévères le gaspillage (at-tabdhîr, al-isrâf), et considère le gaspilleur comme le frère du diable, fût-il croyant.
« […] Évite tout gaspillage, car les gaspilleurs sont frères de Satan et Satan a été ingrat envers son Seigneur. » (Coran 17/26-27)
Quiconque gaspille et spolie sa part de biens de manière irrespectueuse est donc le frère de Satan. Et l’illustration de Satan ici s’assimile à la corruption, au mal par excellence, à la perversion et la turpitude. D’ailleurs, Dieu qualifie dans ce verset le diable de kafûr (en non kafîr), insistant sur le fait qu’il n’est pas reconnaissant, qu’il nie les bienfaits de Dieu, et ne mérite donc pas sa part de biens.
Il ne s’agit pas ici du fait de toucher à une part qui appartiendrait à autrui et qui ne nous revient donc pas ; ce serait alors du vol, de l’usurpation. Le gaspillage relève plutôt de notre façon de gérer notre propre part de manière abusive. Ce n’est pas parce que nous possédons des biens ou une part de bienfaits que nous pouvons en disposer comme bon nous semble. Nous devons la gérer de la meilleure des façons en revenant à ce que Dieu dit et à la manière dont le Prophète (PBSL) se comportait.
Agir avec parcimonie dans la gestion des biens qui nous sont octroyés, c’est reconnaître que tout appartient à Dieu, que c’est Lui qui nous a confié la gestion des biens. Cela appelle à la responsabilité et à la juste mesure.