Impressionnant ! Impressionnant, le déferlement d’avis que nous entendons et que nous lisons sur cette question de l’annonce du début du Ramadan. On a l’impression de vivre un psychodrame, le Ramadan qui est une bénédiction que Dieu nous offre est dorénavant accueilli par l’angoisse de se trouver dans l’erreur et le stress d’une polémique exacerbée. Le mois de la rupture, du recueillement et de la solidarité en est déjà dénaturé.
Divisions ?
On polémique sur les 1 ou 2 jours où, parait-il, nous ne jeûnerions pas ensemble. Et on oublie les 28 ou 29 jours où nous serons inshallah tous réunis. On jette l’anathème sur les avis divergents comme si cette problématique était nouvelle, alors qu’il est arrivé aux Compagnons eux-mêmes de débuter le jeûne différemment.
Ainsi, dans un hadith authentique, rapporté par Muslim, il est dit que Kurayb, un homme venant du Shâm vint voir Ibn ‘Abbâs et lui dit que l’Émir des croyants, Mu‘awiyya, et tous les musulmans de la contrée avaient débuté le jeûne un samedi car ils avaient vu la lune la veille. Mais Ibn ‘Abbâs lui répond que lui, par contre, ne l’avait vue que le samedi soir et que les gens de Médine débutèrent donc leur jeûne le lendemain, refusant ainsi de s’allier à l’avis énoncé par l’autorité.
Quand Kurayb le lui reprocha, Ibn ‘Abbâs affirma ne suivre là que la pratique du Prophète (paix et salut sur lui). Ce hadith servira d’ailleurs de base aux shafiites pour dire que la localisation géographique est importante pour la détermination du premier jour de jeûne.
Cela voudrait-il dire qu’Ibn ‘Abbâs, ce célèbre Compagnon, se fichait totalement de l’union de la communauté ? Bien sûr que non ! D’où vient donc cette idée que l’unité de la Communauté doit être conditionnée par un conformisme cultuel et donc sur une manière unique d’exercer tous les détails de notre culte ?
Si les autorités politiques l’ont effectivement recherché par la suite, cela n’a jamais été le cas pour les Savants de l’Islam. Et ce n’est d’ailleurs qu’un souhait illusoire (chaque société, chaque personne a un parcours spécifique), une contre vérité historique (cela n’a jamais existé), et cela n’a aucun fondement théologique ou juridique (ce qui est combattu, ce sont les avis qui ne se basent pas sur les Textes-Sources, jamais les avis divergents).
Dieu ne nous jugera pas sur cela. Il nous jugera sur notre intention sincère, sur notre volonté à vouloir être fidèle à Ses prescriptions et sur notre comportement éthique face à la divergence des pratiques et d’opinions au sein de la communauté. Rien d’autre.
Divergences ?
Vivre ensemble dans le respect (pas seulement la tolérance) des divergences et des pratiques différentes est à la fois une bénédiction, une épreuve et des limites que Dieu nous impose. Ceci afin que, tous, nous nous rendions compte que la vérité n’appartient qu’à Lui. Un rappel salutaire pour se rappeler l’humilité.
Et c’est vraiment là, le véritable enseignement à retirer de cette polémique : l’humilité et l’ouverture d’esprit. Car ni l’observation ni la science ne nous protègera de manière radicale de l’erreur. Le seul et unique refuge n’est qu’en Dieu. À nous d’apprendre à vivre dans la diversité de nos opinions. C’est notre comportement parfois détestable qui transformera une simple divergence que Dieu a voulu en de profondes divisions que l’Islam réprouve.
Observation, calcul et vérité
Arrêtons de croire que l’observation, la perception des choses est quelque chose d’évident, de non négociable. Et arrêtons de croire que la raison, le calcul quand ils sont posés comme principe ne peut obligatoirement que nous réunir et n’aboutir qu’à la vérité. Ne tombons dans aucun de ces deux pièges.
Dieu nous demande en permanence de nous méfier de ce monde d’apparence et du sensible. Il nous demande d’aller au-delà de ce qui est perçu. Nous, les croyants, nous privilégions l’invisible, c’est comme cela que Dieu nous qualifie dans le Coran :
« Ceux qui croient à l’invisible, qui s’acquittent de la salât et qui effectuent des œuvres charitables sur les biens que Nous leur avons accordés. » (Al-Baqara, 2/3)
N’adorons pas non plus notre raison ou le calcul scientifique. Ce ne sont que des opérations humaines avec toutes les passions et toutes les imperfections que nous reconnaissons chez l’humain. Poser le calcul comme principe irrévocable et indiscutable, c’est oublier que ce sont des êtres humains imparfaits et sujets à l’erreur qui calculent, et c’est finalement considérer que le calcul ou la raison sont au dessus de la norme et des Textes (Coran et Sunna). Inacceptable pour un croyant. Nous, les croyants, nous privilégions la conformité à la norme et aux Textes :
« Ce que Nous t’avons révélé du Livre est la Vérité même, confirmant les Écritures qui l’ont précédé. Dieu est parfaitement Informé de Ses serviteurs qu’Il observe en permanence. » (Fātir, 35/31)
Les Savants de l’Islam et la place du calcul
À notre connaissance, aucun savant reconnu avant le siècle précédent n’a osé dire que le calcul astronomique prévalait sur la vision. Les seuls à l’avoir dit n’ont soit aucune légitimité dans le domaine – comme l’a fait le grammairien Ibn Qutayba qui a été tout de suite contesté par le grand juriste Ibn Abd al-Barr, l’imam Ibn Taymiyya et tant d’autres –, soit sont issus de sources discutables.
Le premier savant à avoir évoqué la possibilité du calcul est Ibn Daqîq al-‘Îd (fin du 7e siècle de l’hégire). Mais il affirmait tout de même la primauté de la vision, en ajoutant que si le calcul permet de dire quand la visibilité est possible, on peut le suivre.
Il se basait sur le hadith suivant dont l’authenticité ne souffre pas de doute et sur lequel se base une partie des savants contemporains qui opte pour la méthode du calcul astronomique de la visibilité :
D’après ‘Abdallah Ibn ‘Umar (qu’Allah l’agrée), le Prophète (psl) évoqua le Ramadan, et il dit : « Ne jeûnez pas à moins que vous n’observiez le croissant lunaire, et ne rompez pas le jeûne à moins que vous ne l’observiez. Et si vous êtes empêchés par les nuées de l’observation alors estimez-le (fa-qdirû lahu). » Hadith rapporté par al-Bukhârî, le texte est de Muslim.
La formulation du hadith est déjà assez particulière car elle n’utilise pas l’impératif mais l’interdiction : « Ne jeûnez pas… » Il établit donc bien le fait que la vision est nécessaire pour déterminer le début du jeûne.
Toute la problématique vient dans la suite du hadith, dans le terme « fa-qdirû lahu » c’est-à-dire si la vision n’est pas possible, soit parce que le ciel est voilé, soit parce qu’on n’a pas d’accès direct à la vision. Quand le Prophète (psl) parle du fait d’estimer le mois, certains évoquent la nécessité de recourir au calcul astronomique. Or, le verbe « qadara » qui signifie estimer, déterminer, est souvent confondu avec le verbe « qaddara » signifiant le fait de déterminer une mesure par le calcul.
La norme reste donc la vision, mais s’il y a non-accessibilité, alors nous devons évaluer la situation de la lunaison.
Ibn Daqîq al-‘Îd, fidèle à cette compréhension du hadith, introduit la possibilité du calcul de la visibilité que dans le cas de l’exception ou de la nécessité. C’est une exception et en aucun cas une règle et c’est donc bien toujours la vision qui prime.
Pour ce qui concerne le calcul de la visibilité pour infirmer une (fausse) vision, le grand savant et Imâm Taqiyyuddîn As-Subkî (7e siècle de l’hégire) disait déjà à l’époque que l’astronomie dans la maîtrise qu’ils en avaient était apte à infirmer ou confirmer le témoignage d’une personne ayant vu la lune.
Néanmoins, en tant que savant et muhaddith, lui aussi donna la prédominance à la vision, car pour lui, les Textes sont clairs à ce sujet, et il s’agissait surtout de remettre l’homme dans son rôle d’observateur du temps, des cycles et des éléments. Il avait une vision bien plus globale, celle qui nous fait parfois défaut aujourd’hui.
Foi, Raison et perception
Dans les sciences islamiques, nous faisons bien la différence entre la Parole divine révélée et son interprétation humaine. Ainsi le Coran est une Parole parfaite et divine que nous suivons entièrement, mais son interprétation ne peut être qu’imparfaite et humaine ; elle doit donc être soumise à la critique et elle doit être renouvelée par ceux qui en ont la compétence.
Comme nous faisons bien la distinction entre la raison, un véritable don divin, et l’utilisation qu’en fait l’Homme. La raison est une lumière divine que Dieu nous demande d’utiliser pour comprendre Sa Parole, pour percevoir Ses signes, pour reconnaitre Son souffle qui est déjà en nous-mêmes et pour aller vers Lui. Cependant, la raison et donc le calcul, ne sont qu’un instrument de l’humain (il ne peut pas en être autrement), qui subissent fatalement les aléas conséquents à notre humanité et doivent donc être relativisés.
La perception comme la Raison ne sont que des outils que Dieu nous a mis à disposition. Il nous demande de les utiliser avec clairvoyance, jamais de les adorer.
Autant Dieu nous rappelle que pour comprendre Sa Parole, il faut savoir observer et utiliser son intelligence :
« En vérité, dans la création des cieux et de la terre, et dans l’alternance de la nuit et du jour, il y a certes des signes pour lesdoués d’intelligence. » (Āl-‘Imrān, 3/190)
Autant, Dieu nous rappelle que cela peut aussi nous conduire à notre perte si nous n’en retirons que ce qui est raisonnable, sensible, matérielle, visible ou apparent :
« Que ne parcourent-ils la Terre pour acquérir des cœurs aptes à comprendre et des oreilles aptes à entendre ? En vérité, ce ne sont pas les yeux qui se trouvent atteints de cécité, mais ce sont les cœurs qui battent dans les poitrines qui s’aveuglent. » (Al-Hajj, 22/46)
Et Dieu poursuit encore :
« Car ils ne s’intéressent qu’aux apparences futiles de la vie d’ici-bas et se montrent insouciants de la vie future. » (Ar-Rūm, 30/7)
L’équilibre entre le respect des Textes, l’observation avisée et une raison éclairée est la clé de voute du cheminement spirituel.
Textes révélés et idéologie moderniste
Le Ramadan, c’est le mois du Coran, cette révélation divine, ce Texte qui nous rappelle que Dieu ne nous a pas créés puis abandonnés. Il nous a créés puis Il a mis à notre disposition un Texte pour qu’on puisse vivre et mourir dans Sa sécurité.
Lorsque le monde moderne tente d’imposer sa norme sur tous les aspects de notre vie, Dieu nous rappelle qu’il n’existe qu’une seule norme. La sienne. Celle de nos Textes révélés. Et la norme divine, elle est harmonieuse avec la création, elle est naturelle, elle dépasse cette vie, elle est au-delà du sensible et du visible. Elle est complète.
Pourquoi aujourd’hui prétendre que le calcul astronomique est une solution à tous les problèmes ?
À entendre les argumentations, nous pourrions être en droit de penser que la modernité a apporté une science nouvelle et révolutionnaire, l’astronomie. Or, rien n’est plus faux. Cette science existait bien avant l’islam. Les Arabes, avant l’islam, utilisaient déjà leurs connaissances aiguisées de l’observation des étoiles pour déterminer le temps, pour se guider dans les océans ou dans le désert, pour déterminer les périodes propices à l’agriculture, etc.
L’astronomie du 7e siècle de l’hégire n’a pas grand-chose à envier à celle que l’on connaît aujourd’hui. S’il y a eu des avancées liées aux nouvelles découvertes scientifiques, le calcul astronomique était déjà très évolué à l’époque, c’était une science exacte. Dès le 7e siècle de l’hégire, le grand astrophysicien al-Bayrûnî (Birouni) était parvenu à mesurer le périmètre de la Terre à quelques mètres près, et ses tablettes de calcul astronomiques ont été utilisées jusque dans les années 1930. Al-Qarâfî (7e siècle de l’hégire) avait inventé, pour le sultan de l’époque, une horloge en forme de tête de lion qui indiquait l’heure des prières avec une précision impressionnante. On avait même déjà commencé à catégoriser les sciences de l’astronomie en différentes branches.
Comment peut-on dès lors se plaire à penser que les femmes et les hommes de l’époque avaient choisi la vision parce que c’était le seul biais d’observation de la lune ? Dire cela relève de l’erreur historique. Pire, ce raisonnement conduit à penser que ce sont les Lumières qui ont apporté la science et les avancées techniques ; qu’avant cela, l’obscurantisme prédominait, et qu’il continue de sévir au sein des partisans de l’observation.
Ainsi jamais la question du choix entre la vision ou le calcul n’a jamais été lié à une lacune quelconque au niveau scientifique. Les savants de l’époque privilégiaient la vision tout en maîtrisant le calcul astronomique dont ils comprenaient les limites.
Jusqu’aujourd’hui, il existe différentes méthodes de calcul de la visibilité de la lune, et chacune avec des critères spécifiques, qui font que, selon telle ou telle méthode, les résultats peuvent différer. L’observatoire national français lui-même adopte plusieurs méthodes de calcul. Ainsi, quoi qu’on en pense le calcul de la visibilité de la lune est tout aussi sujet à interprétation, et donc tout aussi aléatoire, que la vision directe.
Les promoteurs du calcul de la visibilité reprochent souvent à ceux qui défendent la vision directe de semer la division. Car, prétendent-ils, le calcul permettrait aux musulmans du monde entier de débuter leur jeûne du ramadan le même jour, dans l’unité. Mais cela relève de la chimère, car du point de vue astrophysique, c’est impossible.
Par exemple, si la lune est visible au Chili, après le coucher du soleil, il faut comprendre qu’en Europe, au même moment, le soleil s’est déjà levé et qu’il est donc déjà trop tard pour commencer à jeûner. Il ne peut donc y avoir de calcul universel de la visibilité car le calcul est basé sur différents paramètres, et notamment la localisation géographique. C’est pourquoi la plupart des astrophysiciens qui se sont prononcés en faveur du calcul insistent sur le fait que la planète ne peut être considérée comme un seul et même espace et préconisent de diviser la Terre en quatre parties distinctes. Ce qui pose encore d’autres problèmes…
Le ramadan pour revenir aux fondamentaux
Le Ramadan est d’abord le mois du Retour. Il s’agit de revenir et de vivre selon les éléments naturels de la création, visible ou non. Pour cela, jeûner c’est s’imposer des limites, se poser et quand les passions se calment, il devient possible d’écouter son prochain, d’écouter le monde puis de retrouver le chemin de Celui Qui l’a créé.
Le mois du Ramadan vient nous rappeler que nos mois s’établissent selon le cycle de la lune, que les prières s’effectuentselon le cycle solaire, que l’alternance jour-nuit a un sens, que nous allons même nous alimenter et avoir des rapports conjugaux en fonction du lever et du coucher du soleil. Car c’est en reprenant contact avec les éléments de Sa création que nous arriverons enfin à percevoir Son infini miséricorde et Sa toute-puissance.
Le ramadan, c’est aussi se réapproprier le temps concret au nom de Dieu car le temps n’appartient qu’à Dieu. Nous en prenons conscience quand nous recherchons l’apparition du croissant car il faut bien déterminer la date du début du mois du jeûne ou quand nous attendons les lueurs orangées qui illuminentl’horizon, car il faut bien déterminer le moment de la rupture de notre jeûne… C’est ce temps là qui nous manquent et c’est ce temps là qui est aujourd’hui perverti.
En Islam, adorer passe par un retour à la compréhension des cycles. Pour que nous y réfléchissions… Et si notre vie moderne de consommateur-producteur nous l’a fait oublier, notre vie d’adorateur doit nous le rappeler.
L’enjeu véritable du débat : répondre aux impératifs de la société productiviste
Ceux qui voudraient que nous nous basions que sur le calcul pour jeûner ou que sur un calendrier pour prier ne comprennent pas la profondeur et l’enjeu du débat. Il voudrait le réduire en un combat idéologique entre ceux qui seraient « éclairés » par leur raison (les réformistes, les modernistes…) et ceux qui seraient attaché à la littéralité du Texte (les traditionnalistes, les dogmatiques…).
Le débat n’est pas futile, il y a bien un enjeu de valeur qui se pose : la question de la place de la raison, de la compréhension du temps ou du sens donné à la création… Toutes ces questions ont de réelles conséquences dans notre manière d’appréhender les Textes mais aussi nos mondes.
L’un des premiers objectifs de la civilisation de la modernité marchande est celui de la redéfinition du temps. Car celui qui définira la manière de réorganiser le temps sera celui qui définira sa manière de concevoir le réel. Il imposera de fait ses valeurs.
Ce n’est pas par hasard si, dans nos centres commerciaux, il n’existe aucune fenêtre, aucune ouverture vers le ciel qui nous permettrait de prendre en compte l’évolution du cycle solaire. Le supermarché est un lieu ou on cultive l’insouciance du consommateur. Il doit s’oublier car par son achat, il permettra la croissance adorée ; et ce n’est qu’en sortant du supermarché, la nuit tombée, qu’on prendra conscience qu’on vient de laisser passer la prière du maghrib. Le soleil est notre rappel, incompatible avec la folie consumériste. Dans les temples de la consommation, dans ce monde de zombie, on cache le soleil qui rappelle le temps et notre finitude…
Et ce n’est pas par hasard non plus, si dans nos écoles qui forment les futurs producteurs et dans nos usines qui les encadrent, nous trouvons des sonneries et des horloges à chaque couloir organisant ainsi notre temps à la seconde près. Ce temps-là est comptabilisé, il est capital car il définira la valeur et donc le profit des produits vendus. Un temps tellement sacralisé qu’il nous devient même impossible de prier. Quand c’est possible, il faut se cacher…. Car prier, c’est perdre leur temps et donc leur argent. Marchandiser ainsi le temps est incompatible avec celui du recueillement et de la méditation, celui du recul nécessaire pour vivre… réellement.
Pourtant certaines références religieuses musulmanes, inféodées à l’idéologie marchande, n’hésiteront pas à affirmer que prier durant les heures de travail, c’est « voler » le temps de son patron qu’on lui aurait vendu… Impressionnant. Dans le monde du travail, l’homme (musulman ou non) producteur qui a vendu son temps (et son âme ?) devient donc un robot, une machine à travailler et à valoriser la marchandise qui doit délaisser tous les autres aspects de sa réalité…
Nous sommes dans la même logique, la même aliénation quand certains justifient (ouvertement ou non) l’annonce du début du ramadan par le calcul dans le seul but de pouvoir mieux organiser le temps de travail, les congés payés, les journées scolaires. L’impératif productiviste de la rentabilité doit primer sur tout. Encore et toujours. Et le culte islamique doit s’y intégrer, doit s’y adapter. Aucune exception ne doit être tolérée…
Alors que Dieu nous demande de retourner à l’observation du temps réel et naturel afin de mieux L’adorer, d’autres le récusent en arguant d’une « prétendue » raison éclairée, mais en fait ils ne font que répondre aux impératifs de la société productiviste de la consommation et du travail.
C’est le véritable enjeu du débat, c’est rarement dit, mais c’est dans tous les esprits…
Conclusion : refuser les divisions, accepter la divergence, se méfier des diversions
Pour conclure, que l’on débute son jeûne tel jour ou tel autre est en fait secondaire. La question n’est pas réellement là car, dans les deux cas, les arguments juridiques sont construits et reconnus. Chacun individuellement fera donc son choix en âme et conscience et dans le respect de toutes les opinions. Individuellement, car ni une autorité étatique ni une organisation islamique n’a le droit d’imposer son point de vue. Le faire c’est transformer une divergence légitime en une division destructrice.
Par contre, ce qui est essentiel aujourd’hui, c’est de comprendre qu’à travers ce débat se pose la question de la confrontation de deux systèmes de vie, de deux manières de concevoir le monde sensible et l’invisible.
Celui de l’Islam qui dans tous nos actes cultuels nous demande de nous relier aux temps concrets et naturels des choses. Car aller vers Dieu, c’est y aller avec l’aide de Sa création. Et le fondamental, c’est Dieu, le Très-Haut.
Celui de la modernité marchande, basée sur cet homme « moderne » et orgueilleux qui par sa raison prétend pouvoir s’auto-définir, et donc voudrait se détacher de toutes normes, et oublier ce temps des cycles naturels pour se soumettre à celui de l’être consommateur et producteur. Et le fondamental, ici, ce n’est que la rentabilité marchande.
Le mois du ramadan, ce mois où les diables sont enchainés, ce mois où Dieu rend l’acte de bien facile à réaliser, c’est le mois du retour au temps concret de l’être adorateur connecté à l’invisible pour délaisser celui de l’être marchandisé connecté à sa raison instrumentale.
Dans nos cités dortoirs, dans nos banlieues agités, dans nos villes surpeuplés avec nos journées de travail soumis à la dictature de l’horloge qui ne nous permettent même plus de ressentir la valeur des choses, le ramadan a le mérite de nous replacer dans la vraie vie, celle de notre horloge biologique, celle du temps cosmique. Pour un seul but : nous préparer à l’autre vie, celle qui suivra notre mort.
Et Seul Dieu est Savant.
Yamin Makri, président de l’Union Française des Consommateurs Musulmans