Nous vivons une époque où le respect de la création est devenu un véritable enjeu de société. Face aux excès et abus inhérents à la société moderniste de consommation, certaines consciences se réveillent afin d’alerter sur les conséquences désastreuses à venir. En effet, le système de production moderne surexploite les ressources planétaires et ne retient comme seul critère que la logique de profit. De fait, toute autre considération liée à l’équilibre environnemental, social, sanitaire, etc. est relayée au second plan. Les conséquences sont tragiques pour l’écosystème mais surtout pour les humains qui sont en première ligne afin de surproduire souvent dans les pays les plus défavorisés. Mais les conséquences ne s’arrêtent pas là puisqu’en fin de chaîne le consommateur occidental subit également les incohérences du système. L’usage des pesticides provoque par exemple des catastrophes sanitaires incontrôlables mais, de manière moins directe, on constate que le mode de surconsommation en produit de plus en plus gras et sucré crée des dépendances dangereuses.
Face à ce fléau, nombreuses sont les associations écologistes qui appellent à un retour au respect de la terre. Ils crient à l’approche du cataclysme tant les limites de l’intolérable sont chaque jour bafouées. Ainsi, afin de sauver la planète et donc les humains il serait plus qu’urgent de changer.
Ces propos très censés comportent très certainement une grande part de vérité. Cependant, si le message de l’islam nous enjoint à rejoindre l’objectif de la préservation de la terre, il repose sur d’autres raisons. En effet, s’il est de notre responsabilité de préserver la planète, ce n’est pas tant par crainte de sa destruction. D’une part car celle-ci est déjà programmée par Dieu, donc personne ne pourra l’anticiper et d’autre part car Dieu est Capable de faire revivre tout ce qui a été détruit. Ceci ne nous dédouane pas pour autant de nos responsabilités mais nous rappelle surtout les intentions et visées qui doivent motiver notre action.
À travers l’étude du message coranique, nous constatons que finalement le rapport à la terre induit des enseignements beaucoup plus profonds que le simple intérêt égoïste du besoin de préserver la terre qui nous sert de demeure. Au contraire, le rapport à la terre nous renvoie tout au long de la révélation à notre rapport à l’au-delà.
وَلَقَدْ خَلَقْنَا الْإِنْسَانَ مِنْ سُلَالَةٍ مِنْ طِينٍ
Nous avons certes créé l’homme d’un extrait d’argile. (Coran 23/12)
L’être humain a été créé de terre. Cette vérité reconnue par toutes les religions monothéistes n’est pas dénuée de conséquences. On pourrait penser qu’il s’agit d’une simple information, alors que cela est source d’enseignements importants.
Provenant de la même source que la planète, nous fonctionnons à son image. La création est d’ailleurs considérée comme une des sources fondamentales du message de l’islam, il s’agit du livre déployé :
وَآيَةٌ لَهُمُ الْأَرْضُ الْمَيْتَةُ أَحْيَيْنَاهَا وَأَخْرَجْنَا مِنْهَا حَبًّا فَمِنْهُ يَأْكُلُونَ
Une preuve pour eux est la terre morte, à laquelle Nous redonnons la vie, et d’où Nous faisons sortir des grains dont ils mangent. (Coran 36/33)
La création est un signe car elle nous enseigne finalement notre propre mode de fonctionnement. Nous venons de la même source et tout ce qui provoque un dysfonctionnement de la terre provoquera inexorablement un dysfonctionnement de notre propre équilibre. Elle est un signe car elle nous renvoie à nos propres réalités intérieures. Ainsi le déséquilibre écologique est surtout révélateur du déséquilibre humain. Or l’équilibre humain se situe surtout dans la place que nous accordons à la conscience de Dieu dans nos vies et au respect de Sa norme. L’équilibre est donc d’abord une démarche de cœur avant de trouver sa traduction dans des œuvres qui donnent sens par rapport à ce monde mais surtout par rapport à l’au-delà.
أَوَلَمْ يَتَفَكَّرُوا فِي أَنْفُسِهِمْ ۗ مَا خَلَقَ اللَّهُ السَّمَاوَاتِ وَالْأَرْضَ وَمَا بَيْنَهُمَا إِلَّا بِالْحَقِّ وَأَجَلٍ مُسَمًّى ۗ وَإِنَّ كَثِيرًا مِنَ النَّاسِ بِلِقَاءِ رَبِّهِمْ لَكَافِرُونَ
N’ont-ils pas médité en eux-mêmes? Allah n’a créé les cieux et la terre et ce qui est entre eux, qu’à juste raison et pour un terme fixé. Beaucoup de gens cependant ne croient pas en la rencontre de leur Seigneur. (Coran 30/8)
Nous venons donc de la terre qui est un signe car elle fonctionne comme nous. Voilà pourquoi nous devons méditer les signes de la terre en nous-mêmes. Les signes que nous recelons et ceux que dévoile la création proviennent d’une même et Unique Source. Le cycle de vie et de mort qui se manifeste par les jours et les nuits, par les saisons, par le caractère éphémère de nos biens de consommation est un rappel constant rappelant à l’humain ses limites. Mais l’œuvre du diable est maline et il n’est pas anodin de constater que notre rapport à la création est de plus en plus altéré. Nous vivons coupés de la création, enfermés dans nos tours d’ivoire que nous pensons suffisamment éclairées. Mais elles sont éclairées d’une lumière artificielle, tout comme ces packagings qui enveloppent nos aliments pour soi-disant les protéger et nous protéger. Alors qu’en réalité la source du mal est liée à la surexploitation des ressources, à la cassure des équilibres écologiques et à la transformation de la terre comme source de profits matériels. Elle est bien une source de profits car elle est un signe qui nous parle chaque jour. Si seulement nous acceptions d’écouter!
Dieu dans Sa miséricorde et sachant que l’humain se laisserait emporter par ses passions a fait que ce rapport à la terre devrait se manifester inéluctablement pour chaque humain. Le retour à la terre au moment de la mort impose presque cette prise de conscience au moment du décès d’un proche.
Si seulement nous prenions le temps de méditer le sens de la création nous comprendrions le sens de cette parole divine « et donne leur l’exemple de la terre » (Coran 18/45). D’ailleurs Dieu nous enjoint simplement à observer « ne regarde-t-il pas la terre » (Coran 26/7), car la perception des sens ne peut rester insensible à ce rappel de vérité. Ce n’est donc pas anodin si notre rapport à la création est aussi coupé, comme ce n’est pas anodin qu’aujourd’hui on pousse les gens à se faire incinérer. Les ruses du diable sont certes faibles mais suffisantes pour beaucoup d’humains qui préfèrent oublier même au moment de la mort, ce rappel par excellence, d’une vie après.
C’est notamment dans cette même perspective de rappel que Dieu nous enjoint à poser notre front au sol lors de chaque prière. Ce moment est d’ailleurs celui où le serviteur est le plus proche de Dieu, son Créateur. N’est-ce pas révélateur que le moment de proximité le plus intense se situe lors de notre proximité la plus étroite avec la terre ? D’ailleurs ‘Umar ibn ‘Abd al-‘Azîz avait cette exigence personnelle de ne prier qu’au contact de la terre naturelle. Si la terre est régulièrement désignée dans le Coran comme « lieu de repos » (Coran 2/36), c’est surtout car elle nous rappelle l’au-delà et car elle symbolise le contact renoué avec l’au-delà, le vrai monde, celui où nous pourrons aspirer au véritable repos. Alors que paradoxalement dans nos vies bétonnées, la terre est perçue comme une chose sale. Mais ce déficit de compréhension est essentiellement dû aux parois de nos cœurs qui ne voient plus ou pas suffisamment. D’ailleurs même à ce niveau Dieu illustre l’état des cœurs en prenant l’exemple de la roche :
ثُمَّ قَسَتْ قُلُوبُكُمْ مِنْ بَعْدِ ذَٰلِكَ فَهِيَ كَالْحِجَارَةِ أَوْ أَشَدُّ قَسْوَةً ۚ وَإِنَّ مِنَ الْحِجَارَةِ لَمَا يَتَفَجَّرُ مِنْهُ الْأَنْهَارُ ۚ وَإِنَّ مِنْهَا لَمَا يَشَّقَّقُ فَيَخْرُجُ مِنْهُ الْمَاءُ ۚ وَإِنَّ مِنْهَا لَمَا يَهْبِطُ مِنْ خَشْيَةِ اللَّهِ ۗ وَمَا اللَّهُ بِغَافِلٍ عَمَّا تَعْمَلُونَ
Puis, et en dépit de tout cela, vos cœurs se sont endurcis ; ils sont devenus comme des pierres ou même plus durs encore, car il y a des pierres d’où jaillissent les ruisseaux, d’autres se fendent pour qu’en surgisse l’eau, d’autres s’affaissent par crainte d’Allah. Et Allah n’est certainement jamais inattentif à ce que vous faites. (Coran 2/74)
Ce verset vient après un passage contant une discussion entre le Prophète Mûsâ (paix sur lui) et les enfants d’Israël qui polémiquaient avec lui. Ces polémiques cherchant à noyer la Vérité sont parmi les pires maux qui affectent nos cœurs. Dieu nous enseigne donc que, comme pour la création, nos cœurs ont parfois besoin d’être revivifiés. Même si en apparence cela n’est pas toujours évident pour chacun les catastrophes naturelles servent à remettre de l’ordre dans la création, à rappeler que Dieu Seul est Tout-Puissant. De la même manière, nos cœurs ont besoin d’épreuves pour pouvoir renouer avec le Seul Maître. Parfois les cœurs perçoivent les signes, à l’image de cette création si harmonieuse par elle-même. Parfois, ils n’entendent plus et l’épreuve devient nécessaire pour briser les roches intérieures qui obstruent les voies de la lumière nous laissant croire qu’il y aurait une autre puissance que Dieu. Parfois, l’état des cœurs est tel que même la pire catastrophe ne peut y remettre de l’ordre. Et c’est bien le pire des malheurs.
Enfin, la terre est un signe car nous sommes interdépendants. Tout ce qui nous sert à vivre prend naissance en terre, à l’image de notre alimentation :
يَا أَيُّهَا النَّاسُ كُلُوا مِمَّا فِي الْأَرْضِ حَلَالًا طَيِّبًا وَلَا تَتَّبِعُوا خُطُوَاتِ الشَّيْطَانِ ۚ إِنَّهُ لَكُمْ عَدُوٌّ مُبِينٌ
Ô gens ! De ce qui existe sur la terre; mangez le licite pur ; ne suivez point les pas du Diable car il est vraiment pour vous, un ennemi déclaré. (Coran 2/168)
Seul Dieu Se suffit à Lui-même, alors que la création est interdépendante. À l’image des rapports humains sains, si nous avons besoin de la terre, c’est aussi parce que nous en sommes responsables.
وَإِذْ قَالَ رَبُّكَ لِلْمَلَائِكَةِ إِنِّي جَاعِلٌ فِي الْأَرْضِ خَلِيفَةً ۖ قَالُوا أَتَجْعَلُ فِيهَا مَنْ يُفْسِدُ فِيهَا وَيَسْفِكُ الدِّمَاءَ وَنَحْنُ نُسَبِّحُ بِحَمْدِكَ وَنُقَدِّسُ لَكَ ۖ قَالَ إِنِّي أَعْلَمُ مَا لَا تَعْلَمُونَ
Lorsque ton Seigneur confia aux Anges: « Je vais établir sur la terre un vicaire (Khalifa). » Ils dirent: « Vas-Tu y désigner quelqu’un qui y mettra le désordre et répandra le sang, quand nous sommes là à Te sanctifier et à Te glorifier ? » Il dit : « En vérité, Je sais ce que vous ne savez pas ! » (Coran 2/30)
C’est donc parce qu’elle est un signe important, que nous devons préserver la terre. Dieu nous invite certes dans le Coran à méditer, réfléchir, observer, … mais Il nous rappelle surtout que nous sommes responsables de ce signe. Cette manifestation de Dieu dont nous dépendons en partie, nous a été confiée et nous nous devons de la préserver de nos propres maux car nous sommes les créatures qui ont la capacité de choisir et donc d’altérer l’équilibre.
C’est pourquoi Dieu choisit certains de Ses serviteurs pour empêcher d’autres de nuire à la nature saine de la création. « Si Dieu ne levait pas certains Hommes contre d’autres, la terre serait pervertie. » (Coran 2/251)
Nous demandons donc à Dieu de nous aider à comprendre les signes de la création, à trouver la force de vivre en harmonie avec eux plutôt qu’avec nos passions, à lutter pour la préservation de Sa manifestation en nous-mêmes et dans la création. Et enfin nous Lui demandons de nous faire retourner à la terre avec un cœur éveillé et une œuvre saine, en étant inscrits parmi ceux qu’Il agrée.
سَنُرِيهِمْ آيَاتِنَا فِي الْآفَاقِ وَفِي أَنْفُسِهِمْ حَتَّىٰ يَتَبَيَّنَ لَهُمْ أَنَّهُ الْحَقُّ ۗ أَوَلَمْ يَكْفِ بِرَبِّكَ أَنَّهُ عَلَىٰ كُلِّ شَيْءٍ شَهِيدٌ
Nous leur montrerons Nos signes dans l’univers et en eux-mêmes, jusqu’à ce qu’il leur devienne évident que c’est cela (le Coran) la vérité. Ne suffit-il pas que ton Seigneur soit témoin de toute chose ? (Coran 41/53)